Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
LA RÉVOLUTION


ils n’ont qu’un ascendant disputé, limité, éphémère. Ils ne sont pas des chefs militaires, comme Cromwell ou Napoléon, généraux d’une armée qui obéit sans examen, mais de simples harangueurs à la merci d’un auditoire qui les juge. Dans cet auditoire, toute discipline manque ; en vertu de ses principes, chaque Jacobin demeure indépendant. S’il suit des conducteurs, c’est sous bénéfice d’inventaire ; ayant choisi lui-même, il peut revenir sur son choix ; sa confiance est intermittente, sa fidélité provisoire, et, son adhésion n’étant qu’une préférence, il se réserve toujours le droit de lâcher ses favoris du jour, comme il a lâché ses favoris de la veille. Dans cet auditoire, la subordination est nulle ; le dernier des démagogues, un criard subalterne, Hébert ou Jacques Roux, aspire à sortir des rangs, et enchérit sur les charlatans en place pour s’emparer de leur place. Même avec un ascendant durable et complet sur une troupe organisée de partisans dociles, les chefs jacobins seraient toujours faibles, faute d’instruments sûrs et suffisants ; car ils n’ont guère de zélateurs que parmi les probités douteuses et les incapacités notoires. — Autour de Cromwell, pour appliquer son programme puritain, il y avait l’élite morale de la nation, une armée de rigoristes à conscience étroite, plus sévères encore pour eux-mêmes que pour autrui, qui ne se permettaient ni un juron ni un excès de vin, qui ne s’accordaient ni un quart d’heure de sensualité, ni une heure de paresse, qui s’interdisaient toute action ou omission sur laquelle ils pouvaient avoir un scrupule, les plus probes, les plus