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LE PROGRAMME JACOBIN


fils, au fouet et à la chaîne ; d’ailleurs, il demeurait le chef orthodoxe de leur religion, et ne touchait pas à leur mir. — Enfin, à l’autre extrémité de l’Europe, et même hors de l’Europe, au quinzième siècle, au septième siècle, le sultan ou le calife, Mahomet ou Omar, un Turc brutal, un Arabe fanatique, qui venait de conquérir des chrétiens par le glaive, posait lui-même des bornes à son arbitraire ; s’il réduisait les vaincus à l’état de tributaires lourdement rançonnés et à la condition d’inférieurs journellement humiliés, il autorisait leur culte, leurs lois civiles, leurs usages domestiques ; il leur laissait leurs institutions, leurs couvents et leurs écoles ; il leur permettait d’administrer leur communauté à leur guise, sous la juridiction de leurs patriarches ou de leurs autres chefs nationaux. — Ainsi, quel que fût le tyran, il n’entreprenait point de refondre l’homme tout entier, ni de soumettre tous ses sujets à la refonte. Si pénétrante que fût la tyrannie, elle s’arrêtait dans l’âme à un certain point : au delà de son invasion, les sentiments étaient libres. Si enveloppante que fût la tyrannie, elle ne s’abattait que sur une classe d’hommes : hors de son filet, les autres hommes étaient libres. Quand elle blessait à la fois toutes les fibres sensibles, c’était dans une minorité restreinte, incapable de défense ; dans la majorité capable de défense, elle respectait les fibres principales, notamment la plus sensible, celle-ci ou celle-là, selon les cas, tantôt la conscience qui attache l’homme à sa religion, tantôt l’amour-propre qui attache l’homme à son honneur, tantôt l’habitude qui attache