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LA RÉVOLUTION


aux hommes la tenue et le costume des sans-culottes ; on voit jusqu’aux muscadins porter moustaches, cheveux longs, bonnet rouge, carmagnole, sabots ou gros souliers[1]. Personne ne dit plus à personne monsieur ou madame ; citoyen et citoyenne sont les seuls titres permis, et le tutoiement est de règle. Une familiarité rude remplace la politesse monarchique ; tous s’abordent en égaux et en camarades. Il n’y a plus qu’un ton, un style, une langue ; les formules révolutionnaires font le tissu des discours comme des écrits, et il semble que les hommes ne puissent plus penser qu’avec nos idées et nos phrases. Les noms eux-mêmes sont transformés, noms des mois et des jours, noms des lieux et des monuments, noms de baptême et de famille : Saint-Denis est devenu Franciade, Pierre-Gaspard devient Anaxagoras, Antoine-Louis devient Brutus ; Leroi, le député, s’appelle Laloy ; Leroy, le juré, s’appelle Dix-Août. — À force de façonner ainsi les dehors, nous atteindrons le dedans, et par le civisme extérieur nous préparons le civisme intime. Tous les deux sont obligatoires, mais le second encore plus que le premier ; car il est « le principe fondamental[2], le ressort essentiel qui

  1. Archives nationales, AF, II, 48 (Arrêté du 25 floréal an II). « Le Comité de Salut public invite David, représentant du peuple, à lui présenter ses vues et ses projets sur les moyens d’améliorer le costume national actuel, et de l’approprier aux mœurs républicaines et au caractère de la Révolution. » — Ib. (5 prairial, an II). Arrêté pour faire graver et colorier à 20 000 exemplaires le modèle du costume civil, et à 6000 les trois modèles de costume militaire, judiciaire et législatif.
  2. Buchez et Roux, XXXI, 271 (Rapport de Robespierre, 17 plu-