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LA RÉVOLUTION


— Ces divers plans inachevés flottent encore dans un brouillard lointain, mais leur objet commun apparaît déjà en pleine lumière, « Tout ce qui tend à concentrer les passions humaines dans l’abjection du moi personnel doit être rejeté ou réprimé[1] » ; il s’agit de détruire les intérêts particuliers, d’ôter à l’individu les motifs et les moyens de s’isoler, de supprimer les préoccupations et les ambitions par lesquelles il se fait centre aux dépens du véritable centre, bref de le détacher de lui-même pour l’attacher tout entier à l’État.

C’est pourquoi, outre l’égoïsme étroit par lequel l’individu se préfère à la communauté, nous poursuivons l’égoïsme élargi par lequel l’individu préfère à la communauté le groupe dont il fait partie. Sous aucun prétexte, il ne doit se séparer du tout ; à aucun prix, on ne peut lui permettre de se faire une petite patrie dans la grande, car il frustre la grande de tout l’amour qu’il porte à la petite. Rien de pis que le fédéralisme politique, civil, religieux, domestique ; nous le combattons sous toutes ses formes[2]. En cela, l’Assemblée Constituante nous a frayé la voie, puisqu’elle a dissous les princi-

  1. Buchez et Roux, XXXI, 273 (Rapport de Robespierre, 17 pluviôse an II).
  2. Moniteur, XIX, 653 (Rapport de Barère, 21 ventôse an II : « Vous devez, dans toutes vos institutions, apercevoir et combattre le fédéralisme comme votre ennemi naturel… Un grand établissement central pour tous les travaux de la République est un moyen efficace contre le fédéralisme. » — Buchez et Roux, XXXI, 351, et XXXII, 316 (Rapports de Saint-Just, 23 ventôse et 26 germinal an II). « L’immoralité est un fédéralisme dans l’état civil… Le fédéralisme civil, en isolant toutes les parties de l’État, a tari l’abondance. »