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LA RÉVOLUTION


sans restriction ni condition : il oublie que, s’il lui est permis d’en user, ce ne peut jamais être au détriment d’autrui[1]. Ainsi font à présent, même dans la classe moyenne et basse, les possesseurs d’objets nécessaires à la vie. Plus le besoin croît, plus ils haussent leurs prix ; bientôt ils ne consentent à vendre qu’à un taux exorbitant ; bien pis, ils cessent de vendre, et entassent leurs produits ou leurs marchandises, dans l’espoir qu’en attendant ils vendront encore plus cher. Par là, ils spéculent sur les nécessités d’autrui, ils empirent la misère générale, ils deviennent des ennemis publics. Ennemis publics, presque tous les agriculteurs, industriels et commerçants le sont aujourd’hui, les petits comme les gros, fermiers, métayers, maraîchers, cultivateurs de tout degré et aussi les artisans-maîtres, les boutiquiers, notamment les débitants de vin, les boulangers et les bouchers. « Tous les marchands sont essentiellement contre-révolutionnaires et vendraient leur patrie pour quelques sous de bénéfice[2]. » —

  1. Buchez et Roux, XXVI, 93 et 131 (Discours de Robespierre sur la propriété, 24 avril 1793, et Déclaration des Droits adoptée par la Société des Jacobins). — Mallet du Pan, Mémoires, I, 401 (Discours d’une députation du Gard). « Les richesses réelles n’appartiennent en toute propriété à aucun membre distinct du corps social, non plus que les pernicieux métaux frappés aux coins monétaires. »
  2. Moniteur, XVIII, 452 (Discours d’Hébert aux Jacobins, 26 brumaire an II). — Un séjour en France de 1792 à 1793, 218 (Amiens, 4 octobre 1794). « Comme j’attendais ce matin à la porte d’une boutique, j’écoutai un mendiant qui marchandait une tranche de citrouille. Ne pouvant s’accorder sur le prix avec la revendeuse, il lui dit qu’elle était « gangrenée d’aristocratie ». — « Je vous en défie, » répondit-elle ; mais, tout en parlant, elle