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LA RÉVOLUTION


rasera les dernières fibres, si elles parviennent à repousser.

VI

Par cette restauration de l’homme naturel, nous avons préparé l’avènement de l’homme social. Il s’agit maintenant de former le citoyen, et cela n’est possible que par le nivellement des conditions ; dans une société bien constituée, « il ne faut ni riches ni pauvres[1] » : nous avons déjà détruit l’opulence qui corrompt ; il nous reste à supprimer l’indigence qui dégrade. Sous la tyrannie des choses, aussi lourde que la tyrannie des hommes, l’homme tombe au-dessous de lui-même ; on ne fera jamais un citoyen d’un malheureux condamné à demeurer valet, mercenaire ou mendiant, à ne songer qu’à soi et à sa subsistance quotidienne, à solliciter vainement de l’ouvrage, à peiner douze heures par jour sur un métier machinal, à vivre en bête de somme et à mourir à l’hôpital[2]. Il faut qu’il ait son pain, son toit et toutes les choses indispensables à la vie, qu’il travaille sans excès, anxiété ni contrainte, « qu’il vive indépendant, qu’il se respecte, qu’il ait une femme propre,

  1. Buchez et Roux, XXXV, 296 (Paroles de Saint-Just). — Moniteur, XVIII, 505 (Arrêté de la Commune de Paris, 3 frimaire an II). « La richesse et la pauvreté doivent également disparaître du régime de l’égalité. »
  2. Ib., XXXV, 296 (Institutions par Saint-Just). « Un homme n’est fait ni pour les métiers, ni pour l’hôpital, ni pour les hospices : tout cela est affreux. » — Ib., XXXI, 312 (Rapport de Saint-Just, 8 ventôse an II). « Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux sur le territoire français !… Le bonheur est une idée neuve en Europe. »