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LE PROGRAMME JACOBIN


rétablir l’égalité naturelle ; ce n’est guère ; avec des usurpateurs et des tyrans, on doit s’y prendre d’autre façon ; car leur privilège est, à lui seul, un attentat contre les droits de l’homme. En conséquence, nous avons détrôné le roi et nous lui avons coupé la tête[1] ; nous avons supprimé sans indemnité toute la créance féodale, y compris les droits que les seigneurs percevaient à titre de propriétaires fonciers et de bailleurs simples ; nous avons livré leurs personnes et leurs biens aux revendications et aux rancunes des jacqueries locales ; nous les avons réduits à émigrer ; nous les incarcérons s’ils restent ; nous les guillotinons s’ils rentrent. Élevés dans des habitudes de suprématie et persuadés qu’ils sont d’une autre espèce que le commun des hommes, leur préjugé de race est incorrigible ; ils sont incapables d’entrer dans une société d’égaux ; nous ne pouvons trop soigneusement les écraser, ou du moins les tenir à terre[2]. D’ailleurs, par cela seul qu’ils ont vécu, ils sont coupables : car ils ont primé, commandé sans droit, et, contre tous les droits, abusé de l’homme ; ayant joui de leur rang, il est juste qu’ils en pâtissent. Privilégiés à rebours, ils seront traités comme les gens sans aveu l’étaient sous leur règne, ramassés par la police avec leurs familles, expédiés au centre, empri-

  1. Moniteur, XIV, 646 (Procès du roi, discours de Robespierre). « Le droit de punir le tyran et de le détrôner, c’est la même chose. » — Discours de Saint-Just : « La royauté est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer… On ne peut régner innocemment. »
  2. Épigraphe du journal de Marat : Ut redeat miseris, abeat fortuna superbis.