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LA RÉVOLUTION


familles, nous enlevons l’enfant, nous le soumettons à l’éducation civique. Nous sommes pédagogues, philanthropes, théologiens, moralistes. Nous imposons de force notre religion et notre culte, notre morale et nos mœurs. Nous régentons la vie privée et le for intérieur ; nous commandons aux pensées, nous scrutons et punissons les inclinations secrètes, nous taxons, emprisonnons et guillotinons, non seulement les malveillants, mais encore « les indifférents, les modérés, les égoïstes[1] ». Nous dictons à l’individu, par delà ses actes visibles, ses idées et ses sentiments intimes ; nous lui prescrivons ses affections comme ses croyances, et nous refaisons, d’après un type préconçu, son intelligence, sa conscience et son cœur.

III

Rien d’arbitraire dans cette opération ; car le modèle idéal est tracé d’avance. Si l’État est omnipotent, c’est pour « régénérer les hommes », et la théorie qui lui confère ses droits lui assigne en même temps son objet.

En quoi consiste cette régénération de l’homme ? — Considérez un animal à l’état domestique, le chien ou le cheval. Maigre, battu, lié ou enchaîné, il y en a mille exploités et surmenés contre un qui se prélasse et

  1. Buchez et Roux, XXIX, 160 (Rapport de Saint-Just, 10 octobre 1793). « Vous avez à punir, non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes ; vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle. »