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LA RÉVOLUTION


ou hors de Paris sans subir leur oppression ou le spectacle de leur arbitraire ? — Si l’on sort, on trouve leurs pareils en sentinelle à la barrière, puis en permanence au comité de la section. Malouet, conduit devant celui du Roule[1], voit un pandémonium d’énergumènes, cent individus au moins dans la même salle, suspects, dénonciateurs, coopérateurs, assistants, au centre une longue table verte chargée d’épées et de poignards, alentour les membres du comité, « vingt patriotes en chemise, les bras retroussés, les uns tenant des pistolets, les autres des plumes » et signant des mandats d’arrêt, « s’injuriant, se menaçant, parlant tous à la fois et criant : Traître ! — Conspirateur ! — En prison ! — À la guillotine ! — derrière eux les spectateurs pêle-mêle, vociférant et gesticulant » comme des bêtes fauves qui, entassées dans la même cage, se montrent les dents et vont sauter les unes sur les autres. « L’un des plus animés, brandissant son sabre pour frapper son antagoniste, s’arrêta en me voyant et s’écria : Voilà Malouet ! — Mais le champion adverse, moins occupé de moi que de son ennemi, saisit cet instant pour l’assommer d’un coup de

  1. Malouet, II, 243 (2 septembre). — Moniteur, XIII, 48, séance du 27 septembre 1792. Par le discours de Panis, on y voit que les scènes étaient analogues au comité de surveillance : « Qu’on se représente notre situation : nous étions entourés de citoyens irrités des trahisons de la cour ; on nous disait : Voici un aristocrate qui prend la fuite, il faut que vous l’arrêtiez, ou vous êtes vous-même un traître. On nous mettait le pistolet sur la gorge, et nous nous sommes vus obligés de signer des mandats, moins pour notre sûreté que pour celle des personnes dénoncées. »