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LA RÉVOLUTION


physique : dans le procès du roi, au troisième appel nominal, lorsque les votes de mort tombaient du haut de la tribune, un député, voisin de Daunou, « témoignait par ses gestes sa désapprobation énergique. Son tour arrive ; les tribunes, qui sans doute avaient remarqué son attitude », éclatent en menaces si violentes, que pendant quelques minutes il est impuissant à se faire entendre ; « enfin le silence se rétablit, et il vote… la mort[1] ». — D’autres, comme Durand de Maillane, avertis par Robespierre que « le parti le plus fort est aussi le plus sûr », se répètent « qu’il est prudent, nécessaire de ne pas contrarier le peuple en émotion », et prennent la résolution « de se tenir constamment à l’écart sous l’égide de leur silence et de leur nullité[2] ». Parmi les cinq cents députés de la Plaine, il y en a beaucoup de cette sorte ; on commence à les appeler « crapauds du Marais » ; dans six mois, ils se réduiront eux-mêmes à l’état de figurants muets ou plutôt de mannequins homicides, et, sous un regard de

    Et je ne puis pas douter que plusieurs fois on n’ait eu le projet de m’assassiner. »

  1. Taillandier, Documents biographiques sur Daunou (Récit de Daunou), 38. — Doulcet de Pontécoulant, Mémoires, I, 139 : « C’est alors qu’on vit la Montagne user de tous les moyens d’intimidation qu’elle savait si bien mettre en œuvre, remplir les tribunes de ses satellites qui se désignaient à haute voix chaque député, à mesure qu’il montait au bureau du président pour motiver son vote, et qui poursuivaient de hurlements féroces chacun de ceux qui ne votaient pas pour la mort immédiate et sans restriction. » — Carnot, Mémoires, I, 293. — Carnot a voté la mort du roi et cependant avoue que « Louis XVI eût été sauvé si la Convention n’eût pas délibéré sous les poignards ».
  2. Durand de Maillane, 35, 38, 57.