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LA RÉVOLUTION


fond la politique, « parce qu’ils ont lu les Quatre fils Aymon[1] ». — Mais, dans cette boue qui déborde et s’étale en plein soleil, c’est la fange et l’écume ordinaires des grandes villes qui forment le plus gros afflux, mauvais sujets de toute profession ou métier, ouvriers viveurs, irréguliers et maraudeurs de l’armée sociale, gens « qui sortent de la Pitié et, après avoir parcouru une carrière désordonnée, finissent par retomber à Bicêtre[2] ». — « De la Pitié à Bicêtre est un adage reçu parmi le peuple. Cette espèce d’hommes n’a aucune sorte de conduite : elle mange 50 livres quand elle a 50 livres, ne mange que 5 livres quand elle n’a que 5 livres ; de manière que, mangeant à peu près toujours tout, elle n’a à peu près jamais rien, elle ne ramasse rien. C’est cette classe qui a pris la Bastille[3], qui a fait le 10 août, etc. C’est elle aussi qui a garni les tribunes des Assemblées de toute espèce, qui a rem-

  1. Ib., I, 246 (Dutard, 18 mai). — Grégoire, Mémoires, I, 387. L’abaissement moral et mental du parti se manifeste très bien dans la composition nouvelle de la Société des Jacobins, à partir de septembre 1792 : « J’y reparus un moment, dit Grégoire, en septembre 1792 » (après un an d’absence). « Elle était méconnaissable ; il n’était plus permis d’y opiner autrement que la faction parisienne… Je n’y remis plus les pieds. (C’était) un tripot factieux. » Buchez et Roux. XXVI, 214 (séance du 30 avril 1793, discours de Buzot) : « Voyez cette Société jadis célèbre, il n’y reste pas 30 de ses vrais fondateurs ; on n’y trouve que des hommes perdus de crimes et de dettes. »
  2. Schmidt, 1, 189 (Dutard, 6 mai).
  3. Cf. Rétif de la Bretonne, Nuits de Paris, t. XVI (12 juillet 1789). Ce jour-là, Rétif est au Palais-Royal « où, depuis le 13 juin, se tenaient de nombreuses assemblées, et se faisaient des motions… Je n’y trouvai que des hommes grossiers, l’œil ardent, qui se préparaient plutôt au butin qu’à la liberté ».