Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 6, 1904.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


« personnes qui prissent leur parti, qui fissent même la moindre démarche pour les empêcher de périr[1]. »

Au reste, peu importe que la majorité ait des préférences ; ses sympathies, si elle en a, ne seront jamais que platoniques. Elle ne compte plus dans aucun des deux camps, elle s’est retirée du champ de bataille, elle n’est plus que l’enjeu du combat, la proie et le butin du futur vainqueur. Car, n’ayant pu ni voulu se plier à la forme politique qu’on lui imposait, elle s’est condamnée elle-même à l’impuissance parfaite. Cette forme, c’est le gouvernement direct du peuple par le peuple, avec tout ce qui s’ensuit, permanence des assemblées de section, délibérations publiques des clubs, tapage des tribunes, motions en plein air, rassemblements et manifestations dans la rue : rien de moins attrayant et de plus impraticable pour des gens civilisés et occupés. Dans nos sociétés modernes, le travail, la famille et le monde absorbent presque toutes les heures ; c’est pourquoi un tel régime ne convient qu’aux déclassés oisifs et grossiers ; n’ayant ni intérieur ni métier, ils passent leur journée au club comme au cabaret ou au café, et ils sont les seuls qui s’y trouvent à leur place ; les autres refusent d’entrer dans un cadre qui semble taillé uniquement et tout exprès pour des célibataires, enfants trouvés, sans profession, logés en garni, mal embouchés, sans odorat, forts en gueule, aux bras robustes, à la peau dure, aux reins solides, experts en bousculades, et pour qui les

  1. Schmidt, II, 37 (Dutard, 13 juin).


  la révolution. iv.
T. VI. — 11