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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


Tout candidat était tenu d’avoir la foi jacobine ou du moins de réciter le symbole révolutionnaire. En conséquence, dès sa première séance, la Convention, à l’unanimité, vote avec enthousiasme et par acclamation l’abolition de la royauté, et, trois mois plus tard, à la très grande majorité, elle jugera Louis XVI « coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d’attentat contre la sûreté générale de l’État[1] ». — Mais sous les préjugés politiques subsistent les habitudes sociales. Par cela seul qu’un homme est né et a vécu longtemps dans une société ancienne, il en a reçu l’empreinte, et les pratiques qu’elle observe se sont déposées en lui sous forme de sentiments : si elle est réglée et policée, il y a contracté involontairement le respect de la propriété et de la vie humaine, et, dans la plupart des caractères, ce respect s’est enfoncé très avant. Une théorie, même adoptée, ne parvient pas à le détruire ; elle n’y réussit que dans des cas rares, lorsqu’elle rencontre des naturels bruts ou malsains ; pour avoir toutes ses prises, il faut qu’elle tombe sur les héritiers clairsemés de vieux appétits destructeurs, sur les âmes arriérées en qui sommeillent des passions d’une autre date ; alors seulement elle peut manifester toute sa malfaisance ; car elle réveille les instincts féroces ou pillards du barbare, du reître, de l’inquisiteur et du pacha. Au con-

  1. Buchez et Roux, XIX, 17, et XXIII, 168. — 683 voix déclarent le roi coupable ; 37 membres se récusent, comme juges ; sur ces 37, il s’en trouve 26 qui, soit comme particuliers, soit comme législateurs, déclarent le roi coupable. Aucun des 11 autres ne le déclare innocent.


  la révolution. iv.
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