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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


passé par une porte au lieu d’une autre pour éviter un mauvais chemin, M. Juchereau, inspecteur de la manufacture et commandant de la place, est déclaré traître par les volontaires et la populace, arraché des bras des officiers municipaux, assommé à coups de crosse, foulé aux pieds, percé de coups. Sa tête, fichée sur une baïonnette, est promenée dans Charleville, puis dans Mézières, et jetée dans la rivière qui sépare les deux villes. Reste le corps que la municipalité ordonne d’enterrer ; mais il est indigne de sépulture ; les meurtriers s’en emparent et le lancent à l’eau pour qu’il aille rejoindre sa tête. Cependant la vie des officiers municipaux ne tient qu’à un fil ; l’un d’eux a été pris au collet, un autre jeté à bas de son siège, menacé de la lanterne, couché en joue, bourré de coups de pied ; les jours suivants, on agite le projet « de couper leurs têtes et de piller leurs maisons ».

En effet, quiconque dispose des vies dispose aussi des biens, et Roland n’a qu’à feuilleter deux ou trois rapports pour voir comment, sous le couvert du patriotisme, les convoitises brutales se donnent carrière. À Coucy, dans l’Aisne[1], les paysans de dix-sept paroisses, assemblés pour fournir leur contingent militaire, se sont rués, avec de grandes clameurs, sur les deux maisons de M. Desfossez, ancien député de la noblesse à la Constituante ; c’étaient les deux plus belles de la ville :

    frères, qu’il fallait arrêter le général. Plusieurs tenaient déjà la bride du cheval. »

  1. Archives nationales, F7, 3185. Pièces relatives à l’affaire de M. Desfossez. (Le pillage est du 4 septembre.)