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LA RÉVOLUTION


« bien, nous n’y avions aucun mérite ; nous savions parfaitement que les boulets ne pouvaient rien sur nous. » En cet état extrême, l’homme ne connaît plus d’obstacles, et, selon les circonstances, il monte au-dessus ou tombe au-dessous de lui-même, prodigue de son sang et du sang d’autrui, héroïque dans la vie militaire, atroce dans la vie civile : on ne lui résistera pas plus dans l’une que dans l’autre ; car son ivresse a centuplé sa force, et, devant un furieux lancé dans la rue, les passants s’écartent d’avance, comme devant un taureau lâché.

S’ils ne s’écartent pas d’eux-mêmes, ils seront renversés ; car, outre qu’il est furieux, il est sans scrupules. — En toute lutte politique, il est des actions interdites ; du moins, la majorité, pour peu qu’elle soit honnête et sensée, se les interdit. Elle répugne à violer la loi ; car une seule loi violée provoque à violer toutes les autres. Elle répugne à renverser le gouvernement établi ; car tout interrègne est un retour à l’état sauvage. Elle répugne à lancer l’émeute populaire ; car c’est livrer la puissance publique à la déraison des passions brutes. Elle répugne à faire du gouvernement une machine de confiscations et de meurtres ; car elle lui assigne comme emploi naturel la protection des propriétés et des vies. C’est pourquoi, en face du Jacobin qui se permet tout cela, elle est comme un homme sans armes aux prises avec un homme armé[1]. Par principe, les Jacobins font fi

  1. La Fayette, Mémoires, I, 467 (Sur les Jacobins, au moment du 10 août 1792) : « Cette secte dont la destruction était désirée