Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 5, 1904.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
42
LA RÉVOLUTION


petite minorité[1], novatrice et remuante : d’une part, les gens mal attachés à leur métier ou à leur profession parce qu’ils n’y ont qu’un rang secondaire ou subalterne[2], les débutants qui n’y sont pas encore engagés, les aspirants qui n’y sont pas encore entrés ; d’autre part, les hommes instables par caractère, tous ceux qui ont été déracinés par le bouleversement universel, dans l’Église par l’évacuation des couvents et par le schisme, dans la judicature, dans l’administration, dans les finances, dans l’armée, dans les diverses carrières privées ou publiques, par le remaniement des institutions, par là nouveauté des débouchés, par le déplacement de la clientèle et du patronage. De cette façon, nombre de gens qui, en temps ordinaire, seraient restés sédentaires dans leur état, deviennent nomades et extravaguent en politique. — Au premier plan, on trouve ceux

  1. Voyez plus loin les chiffres.
  2. Mallet du Pan, II, 491. Danton disait un jour, en 1793, à un de ses anciens confrères, avocat au Conseil : « L’ancien régime a fait une grande faute. J’ai été élevé par lui dans une des bourses du collège Du Plessis. J’y ai été élevé avec de grands seigneurs, qui étaient mes camarades et qui vivaient avec moi dans la familiarité. Mes études finies, je n’avais rien, j’étais dans la misère, je cherchai un établissement. Le barreau de Paris était inabordable, et il fallut des efforts pour y être reçu. Je ne pouvais entrer dans le militaire, sans naissance ni protection. L’Église ne m’offrait aucune ressource. Je ne pouvais acheter une charge, n’ayant pas le sou. Mes anciens camarades me tournaient le dos. Je restai sans état, et ce ne fut qu’après de longues années que je parvins à acheter une charge d’avocat aux conseils du roi. La révolution est arrivée ; moi et tous ceux qui me ressemblaient, nous nous y sommes jetés. L’ancien régime nous y a forcés en nous faisant bien élever, sans ouvrir aucun débouché à nos talents. » — Cette remarque s’applique à Robespierre, C. Desmoulins, Brissot, Vergniaud, etc.