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LA RÉVOLUTION


cœur ne sait pas les étranges semences qu’il porte en lui-même : telle de ces graines, faible et inoffensive d’aspect, n’a qu’à rencontrer l’air et l’aliment pour devenir une excroissance vénéneuse et une végétation colossale. — Avocat, procureur, chirurgien, journaliste, curé, artiste ou lettré de troisième et quatrième ordre, le Jacobin, ressemble à un pâtre qui, tout d’un coup, dans un recoin de sa chaumière, découvrirait des parchemins qui l’appellent à la couronne. Quel contraste entre la mesquinerie de son état et l’importance dont l’investit la théorie ! Comme il embrasse avec amour un dogme qui le relève si haut à ses propres yeux ! Il lit et relit assidûment la Déclaration des droits, la Constitution, tous les papiers officiels qui lui confèrent ses glorieuses prérogatives ; il s’en remplit l’imagination[1], et tout de suite il prend le ton qui convient à sa nouvelle dignité. — Rien de plus hautain, de plus arrogant que ce ton. Dès l’origine, il éclate dans les harangues des clubs et dans les pétitions à l’Assemblée constituante. Loustalot, Fréron, Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just ne quittent jamais le style autoritaire : c’est celui de la secte, et il finit par devenir un jargon à l’usage de ses derniers valets. Politesse ou tolérance, tout ce qui ressemble à des

  1. Moniteur, XI, 46, séance du 5 janvier 1792. Discours d’Isnard. « Le peuple connaît aujourd’hui sa dignité. Il sait que, d’après la Constitution, la devise de tout Français doit être celle-ci : Vivre libre, l’égal de tous, et membre du souverain. » Guillon de Montléon, I, 445. Discours de Châlier au club central de Lyon, 21 mars 1793. « Sachez que vous êtes rois et plus que rois. Ne sentez-vous pas la souveraineté qui circule dans vos veines ? »