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LES JACOBINS


qu’il manie ne se révèle à son esprit, même supérieur, que par une succession de tâtonnements. — Tout au rebours le Jacobin. Son principe est un axiome de géométrie politique qui porte en soi sa propre preuve ; car, comme les axiomes de la géométrie ordinaire, il est formé par la combinaison de quelques idées simples, et son évidence s’impose du premier coup à tout esprit qui pense ensemble les deux termes dont il est l’assemblage. L’homme en général, les droits de l’homme, le contrat social, la liberté, l’égalité, la raison, la nature, le peuple, les tyrans, voilà ces notions élémentaires : précises ou non, elles remplissent le cerveau du nouveau sectaire ; souvent elles n’y sont que des mots grandioses et vagues ; mais il n’importe. Dès qu’elles se sont assemblées en lui, elles deviennent pour lui un axiome qu’il applique à l’instant, tout entier, en toute occasion et à outrance. Des hommes réels, nul souci : il ne les voit pas ; il n’a pas besoin de les voir ; les yeux clos, il impose son moule à la matière humaine qu’il pétrit ; jamais il ne songe à se figurer d’avance cette matière multiple, ondoyante et complexe, des paysans, des artisans, des bourgeois, des curés, des nobles contemporains, à leur charrue, dans leur garni, à leur bureau, dans leur presbytère, dans leur hôtel, avec leurs croyances invétérées, leurs inclinations persistantes, leurs volontés effectives. Rien de tout cela ne peut entrer ni se loger dans son esprit ; les avenues en sont bouchées par le principe abstrait qui s’y étale et prend pour lui seul toute la place. Si, par le canal des oreilles ou des yeux, l’expérience présente y enfonce de