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LA RÉVOLUTION


presque tous forgerons, serruriers, maréchaux ferrants et la majorité des gendarmes, anciens soldats licenciés pour insubordination, qui inclinent naturellement du côté de l’émeute ; en tout, sans compter l’accompagnement ordinaire des vagabonds et des simples bandits, environ 9000 hommes, ignorants, exaltés, mais tous gens d’exécution, bien armés, formés en corps, prêts à marcher, prompts à frapper. À côté des autorités qui parlent, voilà la véritable force ; car elle agit, et il n’y a qu’elle qui agisse. Comme jadis à Rome la garde prétorienne des Césars, comme jadis à Bagdad la garde turque des califes, elle est désormais maîtresse de la capitale, et, par la capitale, de l’État.

III

Telle troupe, tels chefs ; à un taureau il faut des bouviers pour conducteurs, supérieurs à lui d’un degré, mais d’un degré seulement, ayant le costume, la voix et les façons de l’emploi, exempts de répugnances et de scrupules, naturellement durs ou volontairement endurcis, fertiles en ruses de maquignon et en expédients d’abattoir, eux-mêmes du peuple ou feignant d’en être : Santerre, un brasseur du faubourg Saint-Antoine, commandant du bataillon des Enfants-Trouvés, grand et gros homme de parade, à voix de stentor, qui, dans la rue, donne des poignées de main à tout venant et, chez lui, avec l’argent du duc d’Orléans, paye à boire à tout le monde[1] ; Legendre, un boucher colérique, qui jusque

  1. Mortimer-Ternaux, I, 389. Santerre déclare que la bière