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LA RÉVOLUTION


II

Paris a toujours sa population interlope et flottante, cent mille indigents, parmi eux un tiers de nomades arrivés des départements, « mendiants de race[1] », ceux que déjà, le 13 juillet 1789, Rétif de la Bretonne voyait passer devant sa porte, rue de Bièvre, pour aller rejoindre leurs pareils du faubourg Saint-Antoine, avec eux « les horribles tireurs de bois flotté », débardeurs et conducteurs de trains, nourris dans les forêts de la Nièvre et de l’Yonne, vrais sauvages habitués à manier le croc et la hache, à qui l’occasion suggère des propos de cannibales[2], et qu’on retrouvera aux premiers rangs dans les journées de septembre ; à côté d’eux, leurs femmes, « les femmes de bateaux, qui, aigries par la peine, ne voient, comme l’animal, que le lieu et l’instant présent », et, trois mois auparavant, ont pillé les bouti-

    grand péril. Ne vous étonnez donc pas, si je vous écris quelque jour pour vous apprendre l’assassinat de ce malheureux roi et de sa femme. »

  1. Rétif de la Bretonne, Nuits de Paris, tome XVI (analysé par Lacroix dans sa Bibliographie de Rétif de la Bretonne). — Rétif est l’homme de Paris qui a le plus vécu dans la rue et le plus fréquenté le petit peuple.
  2. Archives nationales, F7, 3276. Lettre du directoire de Clamecy, 27 mars, et procès-verbal des commissaires civils, 31 mars 1792, sur l’émeute des flotteurs. Tracu, leur capitaine, armé d’une trique longue de 10 pieds, forçait les gens paisibles à marcher avec lui, sous peine d’être assommés, et voulait la tête de Peynier, commis général des marchands de bois de Paris. « J’aurai, disait-il, une bonne soupe ce soir ; car la tête de ce b… de Peynier est bien grasse, et je la f… dans ma marmite. »