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LA PREMIÈRE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


au roi, puis au pape[1]. Au fond, Brissot se croit Louis XIV et il invite expressément les Jacobins à imiter les insolences du grand monarque[2]. — À la maladresse de l’intrus, à la susceptibilité du parvenu, s’ajoute la raideur du sectaire. Au nom du droit abstrait, les Jacobins nient le droit historique ; ils imposent de haut et par force la vérité dont ils sont les apôtres et se permettent toutes les provocations qu’ils interdisent à autrui. « Disons à l’Europe, s’écrie Isnard[3], que dix millions de Français, armés du glaive, de la plume, de la raison, de l’éloquence, pourraient seuls, si on les irrite, changer la face du monde et faire trembler tous les tyrans sur leurs trônes d’argile. » — « Partout où il y un trône, ajoute Hérault de Séchelles, nous avons un ennemi[4]. » — « Il n’y a point de capitulation sincère, dit Brissot, entre la tyrannie et la liberté… Votre Constitution est un anathème éternel aux rois absolus… Elle fait leur procès, elle prononce leur sentence ; elle semble dire à chacun : Demain tu ne seras plus, ou tu ne seras roi que par le peuple… La guerre est actuellement un bienfait national, et la

  1. Lettre de Roland au roi, 10 juin 1792, et lettre du Conseil exécutif au pape, 25 novembre 1792. — Lettre de Mme Roland à Brissot, 7 janvier 1791 : « Adieu, tout court. La femme de Caton ne s’amuse point à faire des compliments à Brutus ».
  2. Buchez et Roux, XII, 410, séance des Jacobins du 16 décembre 1791 : « Un Louis XIV déclara la guerre à l’Espagne parce que son ambassadeur avait été insulté par celui de l’Espagne. Et nous, qui sommes libres, nous balancerions un instant ! »
  3. Moniteur, X, 503, séance du 29 novembre. L’Assemblée ordonne l’impression et l’envoi aux départements.
  4. Ib., X, 762, séance du 28 décembre.