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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


par un sentiment nouveau, s’abandonnent à l’orgueilleux plaisir de se sentir indépendants et puissants. Nulle part ce plaisir n’est si vif que chez les chefs locaux, officiers municipaux et commandants des gardes nationales. Car jamais une si haute autorité et une si grande importance ne sont venues tout d’un coup revêtir des hommes auparavant si nuls ou si soumis. — Jadis commis de l’intendant ou du subdélégué, désignés, maintenus, rudoyés par lui, tenus en dehors de toute affaire considérable, n’ayant que les représentations humbles pour se défendre contre les aggravations de taxes, occupés de préséances et de conflits d’étiquette[1], simples citadins ou paysans auxquels l’idée ne fût jamais venue d’intervenir dans la chose militaire, les voilà désormais souverains dans le militaire et dans le civil. — Tel, maire d’une bourgade ou syndic d’une paroisse, petit bourgeois ou villageois en sarrau, que l’intendant et le commandant militaire faisaient à volonté mettre en prison, requiert à présent un gentilhomme, capitaine de dragons, de marcher ou de rester, et, sur sa réquisition, le capitaine reste ou marche. De ce même bourgeois ou

  1. Archives nationales, KK, 1105. Correspondance de M. de Thiard, commandant militaire de la Bretagne (septembre 1789). « Il y a dans toutes les petites villes, trois puissances qui s’entrechoquent, le présidial, La milice bourgeoise et le comité permanent. Chacune veut avoir le pas sur l’autre, et, à cette occasion, il m’est arrivé à Landivisiau une scène qui aurait pu devenir sanglante, et qui n’a été que ridicule. Il s’est élevé une dispute fort vive entre les trois harangueurs, pour savoir qui parlerait le premier. On s’en est rapporté à moi pour la décision. Pour n’offenser aucune des parties, j’ai prononcé qu’ils parleraient tous les trois ensemble : ce qui a été ponctuellement exécuté. »