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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


aux vieillards, aux veuves, aux enfants, on fait un crime de se dérober à leurs griffes. Sans distinguer entre ceux qui se sauvent pour ne pas devenir une proie et ceux qui s’arment pour attaquer la frontière, la Constituante et la Législative condamnent tous les absents. La Constituante[1] a triplé leurs impositions foncières et mobilières, et prescrit une retenue triple sur leurs rentes et redevances. La Législative séquestre, confisque, met en vente leurs biens, meubles et immeubles, près de quinze cents millions de valeurs liquides. Qu’ils reviennent se mettre sous les couteaux de la populace ; sinon, ils seront des mendiants, eux et toute leur postérité. — À ce coup, l’indignation déborde, et un bourgeois, un libéral, un étranger, Mallet du Pan, s’écrie[2] : « Quoi ! vingt mille familles absolument étrangères aux projets de Coblentz et à ses rassemblements, vingt mille familles dispersées sur toute la face de l’Europe par les fureurs des clubs, par les crimes des brigands, par le défaut constant de sûreté, par la stupide et lâche inertie des autorités pétrifiées, par le pillage des propriétés, par l’insolence d’une cohorte de tyrans sans pain et sans habits, par les assassinats et les incendies, par la basse servilité des ministres silencieux, par tout le cortège des fléaux de la Révolution, quoi, ces vingt mille familles désolées, des femmes,

  1. Duvergier, Décrets du 1er -6 août 1701 ; du 9-11 février 1792 ; du 30 mars-8 avril 1792 ; du 21-28 juillet 1792 ; du 28 mars-5 avril 1793. — Compte rendu de Roland, 6 janvier 1793. Il évalue ces biens à 4800 millions, dont il faudra distraire 1800 millions pour les créanciers des émigrés ; restent 3 milliards. Or, à cette date, les assignats perdent 55 pour 100 de leur chiffre nominal.
  2. Mercure de France, 18 février 1792.