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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


Ajoutez-y la balayure des dépôts de mendicité : voilà beaucoup de chenapans sous l’uniforme. Si l’on réfléchit que la solde est petite, la nourriture mauvaise, la discipline dure, l’avancement nul et la désertion endémique, on ne s’étonne plus de la débandade : pour de tels hommes, l’attrait de la licence est trop fort. Dès le commencement, avec du vin, des filles et de l’argent, on leur a fait tourner casaque, et, de Paris, la contagion a gagné la province. En Bretagne[1], les grenadiers et chasseurs de l’Île-de-France « vendent leurs habits, leurs armes et leurs souliers, exigent le prêt pour le manger au cabaret » ; cinquante-six soldats de Penthièvre « ont voulu massacrer leurs officiers » et l’on prévoit que, livrés à eux-mêmes, bientôt, faute de solde, « ils iront voler et assassiner sur les grands chemins ». Dans l’Eure-et-Loir, des dragons[2], sabres et pistolets en main, vont chez des fermiers prendre du pain et de l’argent, et les fantassins de Royal-Comtois, les dragons de Colonel-Général désertent par bandes pour aller à Paris, où l’on s’amuse. Pour eux, avant tout, il s’agit de

    nationale que l’ancien système de recrutement peuplait l’armée de « gens sans aveu, sans domicile, qui souvent se faisaient soldats pour éviter les punitions civiles. » (Moniteur, II, 376, 381, séance du 12 décembre 1789.)

  1. Archives nationales, KK, 1105. Correspondance de M. de Thiard, 4 et 7 septembre 1789, 20 novembre 1789, 28 avril et 29 mai 1790. « L’esprit d’insubordination qui commence à se montrer dans le régiment de Bassigny est une maladie épidémique qui gagne insensiblement toutes les troupes… Toutes les troupes sont gangrenées et toutes les municipalités s’opposent aux ordres qu’elles reçoivent pour les mouvements. »
  2. Archives nationales, H, 1433. Correspondance de M. de Bercheny, 12 juillet 1790.