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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


maintient par l’espérance et par la crainte, et qu’il renvoie s’ils fonctionnent mal ; sinon, il ne les tient pas, ils ne sont pas des outils sûrs. — À cette condition seulement, un directeur de chemin de fer peut promettre que ses aiguilleurs seront à leur poste. À cette condition seulement, un directeur d’usine peut s’engager à livrer une commande au jour fixé. Dans toute entreprise privée ou publique, la contrainte directe et rapide est le seul moyen connu, humain, possible, d’assurer l’obéissance et la ponctualité des agents. — C’est ainsi qu’en tout pays on a toujours administré, par un ou plusieurs attelages de fonctionnaires, chacun sous un conducteur central qui tient toutes les guides rassemblées en ses seules mains.

Tout au rebours dans la Constitution nouvelle. Aux yeux de nos législateurs, l’obéissance doit toujours être spontanée, jamais forcée, et, pour supprimer le despotisme, ils suppriment le gouvernement. Règle générale, dans la hiérarchie qu’ils établissent, les subordonnés sont indépendants de leur supérieur ; car celui-ci ne les nomme pas et ne peut les destituer ; il ne garde sur eux qu’un droit de conseil et de remontrance. Tout au plus, en certains cas, il lui est permis d’annuler leurs actes, de leur infliger une suspension provisoire, révocable et contestée. — Ainsi qu’on l’a vu, aucun pouvoir local n’est délégué par le pouvoir central ; celui-ci ressemble à un homme sans mains ni bras dans un fauteuil doré. Le ministre des finances ne peut nommer ni destituer un seul percepteur ou receveur ; le ministre de l’intérieur,