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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


Traîtres, tyrans, conspirateurs, assassins, tel est à leur endroit le vocabulaire courant des clubs et des gazettes. Aristocrate signifie tout cela, et quiconque ose démentir la calomnie est lui-même un aristocrate. — Au Palais-Royal, on répète que M. de Castries, dans son dernier duel, s’est servi d’une épée empoisonnée, et un officier de marine qui proteste contre ce bruit faux, est accusé lui-même, jugé sur place, condamné « à être consigné au corps de garde ou jeté dans le bassin[1] ». — Que les nobles se gardent bien de défendre leur honneur à la façon ordinaire et de répondre à une insulte par une provocation. À Castelnau près de Cahors[2], l’un de ceux qui, l’année précédente, ont marché contre les incendiaires, M. de Bellud, chevalier de Saint-Louis, arrivant sur la place publique avec son frère, garde du corps, est accueilli par des cris : À l’aristocrate ! À la lanterne ! Son frère est en redingote du matin et en pantoufles : ils ne veulent point se faire d’affaires, ils ne disent mot. Un peloton de garde nationale qui passe répète le cri ; ils se taisent encore. Le chant continue ; au bout de quelque temps, M. de Bellud prie le commandant d’imposer silence à ses hommes. Celui-ci refuse, et M. de Bellud lui demande réparation hors de la ville. À ce mot, les gardes nationaux fondent sur M. de Bellud, la baïonnette en avant. Son frère reçoit un coup de sabre au col ; lui, se défendant de l’épée,

  1. Moniteur, VI. 556. Lettre de M. d’Aymar, chef d’escadre, 18 novembre 1790.
  2. Mercure de France, 28 mai et 16 juin 1791. Lettres de Cahors et de Castelnau, 18 mai.