Traîtres, tyrans, conspirateurs, assassins, tel est à leur endroit le vocabulaire courant des clubs et des gazettes. Aristocrate signifie tout cela, et quiconque ose démentir la calomnie est lui-même un aristocrate. — Au Palais-Royal, on répète que M. de Castries, dans son dernier duel, s’est servi d’une épée empoisonnée, et un officier de marine qui proteste contre ce bruit faux, est accusé lui-même, jugé sur place, condamné « à être consigné au corps de garde ou jeté dans le bassin[1] ». — Que les nobles se gardent bien de défendre leur honneur à la façon ordinaire et de répondre à une insulte par une provocation. À Castelnau près de Cahors[2], l’un de ceux qui, l’année précédente, ont marché contre les incendiaires, M. de Bellud, chevalier de Saint-Louis, arrivant sur la place publique avec son frère, garde du corps, est accueilli par des cris : À l’aristocrate ! À la lanterne ! Son frère est en redingote du matin et en pantoufles : ils ne veulent point se faire d’affaires, ils ne disent mot. Un peloton de garde nationale qui passe répète le cri ; ils se taisent encore. Le chant continue ; au bout de quelque temps, M. de Bellud prie le commandant d’imposer silence à ses hommes. Celui-ci refuse, et M. de Bellud lui demande réparation hors de la ville. À ce mot, les gardes nationaux fondent sur M. de Bellud, la baïonnette en avant. Son frère reçoit un coup de sabre au col ; lui, se défendant de l’épée,
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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE