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LA RÉVOLUTION


et le raisonnement n’ont pas de prise ; une fois implantée, elle végète à sa guise, non à la nôtre, et nul texte législatif, nul arrêté judiciaire, nulle remontrance administrative ne peut changer l’espèce de fruit qu’elle produit. Ce fruit, élaboré depuis des siècles, est le sentiment d’une spoliation excessive, et partant le besoin d’une décharge complète. Ayant trop payé à tout le monde, ils ne veulent plus rien payer à personne, et cette idée, vainement comprimée, se redresse toujours à la façon d’un instinct. — Au mois de janvier 1791[1], les bandes se reforment en Bretagne ; c’est que les propriétaires d’anciens fiefs ont réclamé l’acquittement de leurs rentes. D’abord les paroisses coalisées refusent de rien payer aux régisseurs ; puis les gardes nationales rustiques viennent dans les châteaux contraindre les propriétaires. Le plus souvent c’est le commandant de la garde nationale, parfois c’est le procureur de la commune qui dicte au seigneur la renonciation ; de plus on lui fait souscrire des billets au profit de la paroisse ou de divers particuliers. Selon eux, c’est restitution et dédommagement : puisque tous les droits féodaux sont abolis, il est tenu de leur rendre ce qu’il a reçu d’eux l’année dernière ; puisqu’ils se sont dérangés, il est tenu de « les salarier pour leur course ». — Deux troupes principales, l’une de quinze cents hommes, opèrent ainsi autour de Dinan et de Saint-Malo ; pour plus

  1. Archives nationales, F7, 3225. Lettre du directoire d’Ille-et-Vilaine, 10 janvier 1791, et lettre de Dinan, 29 janvier. — Mercure de France, 2 et 16 avril 1791. Lettres de Rennes, 20 mars ; de Redon, 12 mars.