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LA CONSTITUTION APPLIQUÉE


ceux qui ont gardé leurs écus gagnent cinquante pour cent et davantage. Bien mieux, plus ils atermoient, plus leur dette diminue, et déjà, à force de délais, ils ont trouvé le moyen de se libérer à moitié prix.

En attendant, ils font main basse sur les biens fonciers mal défendus de ce créancier trop faible. — Il est toujours difficile à des cerveaux bruts de se figurer comme une personne véritable, comme un propriétaire légitime, cet être abstrait, vague, invisible, qu’on nomme l’État, surtout quand on leur répète que l’État c’est tout le monde. Ce qui est à tout le monde est à chacun, et, puisque les forêts sont au public, le premier venu a le droit d’en user. Au mois de décembre 1789[1], dans les bois de Boulogne et de Vincennes, des bandes de soixante hommes et davantage abattent les arbres. Au mois d’avril 1790, dans la forêt de Saint-Germain, « jour et nuit, les patrouilles arrêtent des délinquants de tout genre » ; remis aux gardes nationales voisines et aux municipalités, ils sont relâchés presque aussitôt, même avec les bois coupés en fraude ». Contre « les insultes et les menaces réitérées du bas peuple », nulle répression ; un attroupement de femmes excitées par un ancien garde-française vient piller, à la barbe de l’escorte, une voiture de fagots confisquée au profit d’un hospice, et, dans la forêt, des

  1. Mercure de France, 12 décembre 1789. — Archives nationales, F7, 3268. Mémoire des officiers commandant le détachement de la garde nationale parisienne en station à Conflans-Sainte-Honorine (avril 1790). Certificat des officiers municipaux de Poissy, 31 mars.