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LA RÉVOLUTION


« dont les vues sont bornées à leur simple existence. » — C’est donc le bas peuple qui règne, et les renseignements d’après lesquels il rend ses décrets sont des rumeurs qu’il adopte ou qu’il fabrique, pour recouvrir sous une apparence de raison les attentats de sa cupidité ou les brutalités de sa faim. À Étampes, « on lui a insinué que les blés vendus pour nourrir les départements au-dessous de la Loire sont embarqués à Paimbœuf, et de là conduits hors du royaume, pour être vendus à l’étranger ». Aux environs de Rouen, il se figure « qu’on engloutit les grains » tout exprès dans les mares, dans les étangs et dans les marnières ». Auprès de Laon, des comités imbéciles et jacobins attribuent la cherté des subsistances à l’avidité des riches et la malveillance des aristocrates : selon eux, « des millionnaires jaloux s’enrichissent aux dépens du peuple. Ils appréhendent ses forces », et, n’osant se mesurer avec lui « dans un combat honorable », ils ont recours « à la trahison ». Afin de le vaincre plus aisément, ils ont résolu de l’exténuer d’avance par l’excès de la misère et par la longueur du jeûne ; c’est pourquoi ils accaparent tout, « blés, seigles et farines, savons, sucre et eaux-de-vie[1] ». — De pareils bruits

  1. Archives nationales, 17, 3265. Le document suivant, entre beaucoup d’autres, montrera les conceptions et les expédients de l’imagination populaire. — Pétition de plusieurs habitants de la commune de Forges (Seine-Inférieure) : « au bon et incorruptible ministre de l’intérieur ». (16 octobre 1792.) Après trois bonnes récoltes successives, la disette dure toujours. Sous l’ancien régime, le blé regorgeait, on en nourrissait les porcs, on engraissait les veaux avec du pain. Il est donc certain que le blé est