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LA RÉVOLUTION


blé qu’on porte à Harcourt et ailleurs. En Bretagne, Auray et Vannes retiennent les convois de Nantes ; Lannion, ceux de Brest. Brest ayant voulu négocier, ses commissaires sont pris au collet ; couteau sur la gorge, on les contraint à signer l’abandon pur et simple des grains qu’ils ont payés, et ils sont reconduits hors de Lannion à coups de pierres. Là-dessus, 1 800 hommes sortent de Brest avec quatre canons, et vont reprendre leur bien, fusils chargés. Ce sont les mœurs des grandes famines féodales, et, d’un bout à l’autre de la France, sans compter les émeutes des affamés à l’intérieur des villes, on ne trouve qu’attentats semblables ou revendications pareilles. — « Le peuple armé de Nantua, Saint-Claude et Septmoncel, dit une dépêche[1], a de nouveau coupé les vivres au pays de Gex ; il n’y vient de blé d’aucun côté ; tous les passages sont gardés. Sans le secours du gouvernement de Genève qui veut bien prêter 800 coupées de blé à ce pays, il faudrait ou mourir de faim, ou aller, à main armée, enlever le grain aux municipalités qui le retiennent. » Narbonne affame Toulon ; sur le canal du Languedoc, la navigation est interceptée ; les populations riveraines repoussent deux compagnies de soldats, brûlent un grand bâtiment, veulent « détruire le canal lui-même ». — Bateaux arrêtés, voitures pillées, pain taxé de force, coups de pierres et coups de fusil, combats de la populace contre la garde nationale, des paysans contre les citadins, des acheteurs

  1. Archives nationales, F7, 3257. Lettre de Gex, 29 mai 1790. — Buchez et Roux, VII, 198, 369 (septembre-octobre 1790).