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L’ANARCHIE SPONTANÉE


les casse, au hasard, sous l’impulsion du moment, sans idée ni souci des conséquences, même lorsque le contrecoup doit se retourner contre elle et l’écraser demain sous la ruine qu’elle aura faite aujourd’hui. De même des nègres déchaînés, qui, tirant ou poussant chacun de son côté, entreprennent de conduire le vaisseau dont ils se sont rendus maîtres. — En pareil cas, les blancs ne valent guère mieux que les noirs : car non seulement la bande, ayant pour objet une action violente, se compose des plus misérables, des plus exaltés, des plus enclins à la destruction et à la licence, mais encore, comme elle exécute tumultueusement une action violente, chaque individu, le plus brut, le plus déraisonnable et le plus perverti, y descend encore au-dessous de lui-même, jusque dans les ténèbres, la démence et la férocité de ses derniers bas-fonds. En effet, pour que l’homme qui a reçu et donné des coups résiste à l’ivresse du meurtre et n’use pas de sa force en sauvage, il lui faut la pratique des armes et du danger, l’habitude du sang-froid, le sentiment de l’honneur, surtout le souvenir présent de ce terrible code militaire, qui, dans toute imagination de soldat, plante en perspective la potence prevôtale et la certitude d’y monter, s’il frappe un coup de trop. Tous ces freins, intérieurs et extérieurs, manquent à l’homme lancé dans l’émeute. Il est novice dans les voies de fait qu’il exécute. Il ne craint plus la loi, puisqu’il l’abolit. L’action commencée l’entraîne au delà de ce qu’il a voulu. Sa colère est exaspérée par le péril et la résistance. La fièvre lui vient au contact des enfiévrés,