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L’ANARCHIE SPONTANÉE


« ses chevaux et que, si nous n’avions pas de pain, nous n’avions qu’à manger de l’herbe ». Le vieillard de Soixante-quatorze ans est conduit à Paris, une botte de foin sur la tête, un collier de chardons au cou, et la bouche pleine de foin. En vain le bureau des électeurs commande, pour le sauver, qu’il soit mis en prison ; la foule crie : « jugé et pendu », et, d’autorité, elle nomme des juges. En vain La Fayette supplie et insiste par trois fois pour que le jugement soit régulier et que l’accusé aille à l’Abbaye ; un nouveau flot de peuple arrive et un homme « bien vêtu » s’écrie : « Qu’est-il besoin de jugement pour un homme jugé depuis trente ans ? » — Foullon est enlevé, traîné sur la place, accroché à la lanterne ; la corde casse deux fois, et deux fois il tombe sur le pavé ; rependu avec une corde neuve, puis décroché, sa tête est coupée et mise au bout d’une pique[1]. — Pendant ce temps, Bertier, expédié de Compiègne par la municipalité qui n’osait le garder dans sa prison toujours menacée, arrivait en cabriolet sous escorte. Autour de lui, on portait des écriteaux chargés d’épithètes infamantes ; aux relais, on jetait du pain noir et dur dans sa voiture en lui disant : « Tiens, malheureux, voilà le pain que tu nous faisais manger ! » Arrivé devant l’église de Saint-Merry, une tempête effroyable d’outrages éclate

    — « Il veut qu’ils mangent de l’herbe comme ses chevaux. » — « Il a dit qu’ils pouvaient bien manger du foin et qu’ils ne valaient pas mieux que ses chevaux. » — On retrouve la même légende dans d’autres jacqueries contemporaines.

  1. Bailly, II, 108. « Le peuple, moins éclairé et aussi impérieux que les despotes, ne connaît de preuves certaines de la bonne administration que le succès. »