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L’ANARCHIE SPONTANÉE


de ceux qu’on ne se souvient pas d’avoir rencontrés au grand jour » ; beaucoup sont des étrangers, venus on ne sait d’où[1]. On dit qu’il y en a 50 000, et ils se sont emparés des principaux postes.

Pendant ces deux jours et ces deux nuits, dit Bailly, « Paris courut risque d’être pillé, et ne fut sauvé des bandits que par la garde nationale ». Déjà, en pleine rue[2], « des créatures arrachaient aux citoyennes leurs boucles d’oreilles et de souliers », et les voleurs commençaient à se donner carrière. — Heureusement la milice s’organise ; les premiers habitants, des gentilshommes, s’y font inscrire ; 48 000 hommes se forment en bataillons et en compagnies ; les bourgeois achètent aux vagabonds leur fusil pour 3 livres, leur épée, sabre ou pistolet pour 12 sous. Enfin l’on pend sur place quelques malfaiteurs, on en désarme beaucoup d’autres, et l’insurrection redevient politique. — Mais, quel que soit son objet, elle reste toujours folle, parce qu’elle est populaire. Son panégyriste Dusaulx avoue[3] qu’il « a cru assister à la décomposition totale de la société ». Point de chef, nulle direction. Les électeurs qui se sont improvisés représentants de Paris semblent commander

  1. Mathieu Dumas, Mémoires, I, 531. « Les habitants paisibles fuyaient, à la vue de ces groupes de vagabonds étrangers et frénétiques. Toutes les maisons se fermaient… Lorsque j’arrivai chez moi, dans le quartier Saint-Denis, plusieurs de ces brigands y répandaient l’épouvante, en tirant des coups de fusil en l’air. »
  2. Dusaulx, 579.
  3. Dusaulx, 288, 336, 359, 360, 361. « Au fond leurs prières ressemblaient à des ordres, et plus d’une fois il n’a pas été possible de leur résister. »


  la révolution. i.
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