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L’ANARCHIE SPONTANÉE


jacquerie. Camille Desmoulins, l’un des orateurs ordinaires, l’annonce et la provoque en termes précis : « Puisque la bête est dans le piège, qu’on l’assomme… Jamais plus riche proie n’aura été offerte aux vainqueurs. Quarante mille palais, hôtels, châteaux, les deux cinquièmes des biens de la France, seront le prix de la valeur. Ceux qui se prétendent conquérants seront conquis à leur tour. La nation sera purgée ». Voilà d’avance le programme de la Terreur.

Or tout cela est non seulement lu, mais déclamé, amplifié, converti en motions pratiques. Devant les cafés, « ceux qui ont la voix de Stentor se relayent tous les soirs[1] ». — « Ils montent sur une chaise ou sur une table, et lisent l’écrit du jour le plus fort sur les affaires du temps… On ne se figure pas aisément l’avidité avec laquelle ils sont écoutés, et le tonnerre d’applaudissements qu’ils reçoivent pour toute expression hardie ou plus violente que d’ordinaire contre le gouvernement… » — « Il y a trois jours, un enfant de quatre ans, mais plein d’intelligence et bien appris, fit le tour du jardin, en plein jour, au moins vingt fois, porté sur les épaules d’un crocheteur. Il criait : Arrêt du peuple français ; la Polignac exilée à cent lieues de Paris, Condé idem, Conti idem, d’Artois idem, la reine…, je n’ose vous le répéter ». — Au centre du Palais-Royal, une salle en planches est toujours pleine, surtout de jeunes gens qui délibèrent à la

  1. C. Desmoulins, lettres à son père, et Arthur Young, 9 juin.