Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
LA RÉVOLUTION


regards, ce n’est point l’avantage de la nation, mais les droits imaginaires des hommes. Tous étant égaux, il faut que chacun ait une part égale au gouvernement. Point d’ordres dans un État ; point de privilèges politiques avoués ou déguisés ; point de complications constitutionnelles ou de combinaisons électorales, pour donner à l’aristocratie, même capable et libérale, quelque portion des pouvoirs publics. — Au contraire, parce qu’elle était privilégiée pour jouir, elle est suspecte pour servir, et l’on repousse tous les projets qui, directement ou indirectement, lui réservaient ou lui ménageaient une place : d’abord la Déclaration du Roi, qui, conformément aux précédents historiques, maintenait les trois ordres en trois Chambres distinctes et ne les appelait à délibérer ensemble que « sur les affaires d’utilité générale » ; ensuite le plan du Comité de Constitution qui proposait une seconde Chambre nommée à vie par le Roi sur la présentation des assemblées provinciales ; enfin le projet de Mounier, qui remettait à ces mêmes assemblées l’élection d’un Sénat nommé pour six ans, renouvelé par tiers tous les deux ans, composé d’hommes âgés au moins de trente-cinq ans et ayant en biens-fonds dix mille livres de rente. L’instinct égalitaire est trop fort. On ne veut pas de seconde Chambre, même accessible aux roturiers. Par elle[1],

  1. Moniteur, séance du 7 septembre 1789, I, 431-437. Discours de MM. de Sillery, Lanjuinais, Thouret, de Lameth, Rabaut-Saint-Étienne. — Barnave écrivait en 1791 : « Il fallait passer par une Chambre unique ; l’instinct de l’égalité l’exigeait. Une seconde Chambre eût été le refuge de l’aristocratie. »