Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


entre les récifs ou de donner juste à temps le coup de barre qui sauvera le navire. — Tel est le service auquel la haute classe est appropriée ; il n’y a que ce haras spécial pour fournir une recrue régulière de chevaux de course et, de temps en temps, le coureur admirable qui, dans la lice européenne, gagnera le prix sur tous ses rivaux.

Mais, pour qu’ils se préparent et s’entraînent, il faut qu’on leur montre la carrière ouverte et qu’on ne les oblige pas à passer par des chemins trop répugnants. Si le rang, la fortune ancienne, la dignité du caractère et des façons, sont des causes de défaveur auprès du peuple, si, pour gagner son suffrage, il faut vivre de pair à compagnon avec des courtiers électoraux de trop sale espèce, si le charlatanisme impudent, la déclamation vulgaire et la flatterie servile sont les seuls moyens d’obtenir les voix, alors, comme aujourd’hui dans les États-Unis et jadis dans Athènes, l’aristocratie se retire dans la vie privée et bientôt tombe dans la vie oisive. Car un homme bien élevé et né avec cent mille livres de rente n’est pas tenté de se faire industriel, avocat ou médecin. Faute d’occupation, il se promène, il reçoit, il cause, il se donne un goût ou une manie d’amateur, il s’amuse ou il s’ennuie, et voilà l’une des plus grandes forces de l’État perdue pour l’État. De cette façon, le meilleur et le plus large acquis du passé, les plus grosses accumulations de capital matériel et moral restent improductives. Dans la démocratie pure, les hautes branches de l’arbre social, non pas seule-