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LA RÉVOLUTION


où elle percevait les droits de l’ancien chef féodal sans en remplir les fonctions. Évidemment l’abus était énorme et devait cesser. Mais, de ce que dans leurs domaines et auprès du gouvernement la place des privilégiés était abusive, il ne s’ensuivait pas qu’il fallût leur ôter dans leurs domaines toute sécurité et toute propriété, ou dans le gouvernement toute influence et tout emploi. — Sans doute c’est un grand mal qu’une aristocratie favorite lorsqu’elle est oisive, et que, sans rendre les services que comporte son rang, elle accapare les honneurs, les charges, l’avancement, les préférences, les pensions[1], au détriment d’autres non moins capables, aussi besogneux et plus méritants. Mais c’est un grand bien qu’une aristocratie soumise au droit commun lorsqu’elle est occupée, surtout lorsqu’on l’emploie conformément à ses aptitudes et notamment pour fournir une Chambre haute élective ou une Pairie héréditaire. — En tout cas, on ne peut la supprimer sans retour ; car, supprimée par la loi, elle se reconstitue par le fait, et le législateur ne peut jamais que choisir entre deux systèmes, celui qui la laisse en friche ou celui qui lui fait porter des récoltes, celui qui l’écarte du service public ou celui qui la rallie au service public. Dans toute société qui a vécu, il y a toujours un noyau de familles dont la fortune et la considération sont

  1. Mercure, n° du 6 juillet 1790. D’après le rapport de Camus (séance du 2), le total officiel des pensions était de 32 millions ; mais, si on y ajoute les gratifications et allocations sur différentes caisses, le total réel était de 56 millions.