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LA RÉVOLUTION


dans une chambre de l’entrepont, loin du gouvernail et de la boussole, notre club d’amateurs disserte sur l’équilibre des corps flottants, décrète un système nouveau de navigation, fait jeter tout le lest, déployer toutes les voiles, et s’étonne de voir le navire tomber sur le flanc. Évidemment l’officier de quart et le pilote ont mal fait la manœuvre. On les renvoie, d’autres les remplacent, et le navire, qui penche toujours davantage, commence à faire eau de toutes parts. Pour le coup, c’est la faute du capitaine et de l’ancien état-major ; à tout le moins ils manquent de bonne volonté ; un si beau système de navigation devait réussir tout seul ; s’il échoue, c’est qu’on y met obstacle. Bien certainement, parmi ces gens de l’ancien régime, il y a des traîtres qui aiment mieux tout abîmer que se soumettre ; ce sont des ennemis publics et des monstres ; il faut les désarmer, les surveiller, les saisir et les punir. — Tel est le raisonnement de l’Assemblée. Évidemment, pour la rassurer, il eût suffi que le ministre de l’intérieur désigné par elle fît venir tous les matins à son hôtel le lieutenant de police nommé par lui. Mais, par son propre décret, elle s’est privée de cette ressource si simple, et n’a d’autre expédient que d’instituer un Comité de recherches, pour découvrir les crimes « de lèse-nation[1] » ; rien de plus vague qu’un tel mot, rien de plus malfaisant qu’une institution pareille. — Renou-

  1. Décrets des 23 et 28 juillet 1789. — Archives nationales, papiers du Comité des recherches, passim. — Entre autres affaires, voir celle de Mme de Persan (Moniteur, V, 611, séance du 9 septembre 1790), et celle de Malouet (Mémoires, II, 12).