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LA RÉVOLUTION


étaient il y a trois mois : Desmoulins, avocat sans causes, en chambre garnie, vivant de dettes criardes, et de quelques louis arrachés à sa famille ; Loustalot, encore plus inconnu, reçu l’année précédente au parlement de Bordeaux, et débarqué à Paris pour trouver carrière ; Danton, autre avocat du second ordre, sorti d’une bicoque de Champagne, ayant emprunté pour payer sa charge, et dont le ménage gêné ne se soutient qu’au moyen d’un louis donné chaque semaine par le beau-père limonadier ; Brissot, bohème ambulant, ancien employé des forbans littéraires, qui roule depuis quinze ans, sans avoir rapporté d’Angleterre ou d’Amérique autre chose que des coudes percés et des idées fausses ; Marat enfin, écrivain sifflé, savant manqué, philosophe avorté, falsificateur de ses propres expériences, pris par le physicien Charles en flagrant délit de tricherie scientifique, retombé du haut de ses ambitions démesurées au poste subalterne de médecin dans les écuries du comte d’Artois. À présent, Danton, président des Cordeliers, peut dans son district faire arrêter qui bon lui semble, et la violence de ses motions, le tonnerre de sa voix, lui donnent, en attendant mieux, le gouvernement de son quartier. Un mot de Marat vient de faire massacrer à Caen le major de Belsunce. Desmoulins annonce, avec un sourire de triomphe, « qu’une grande partie de la capitale le nomme parmi les principaux auteurs de la Révolution, et que beaucoup même vont jusqu’à dire qu’il en est l’auteur ». Portés si haut et par un si brusque coup de bascule, croyez-vous qu’ils veuillent