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L’ANARCHIE SPONTANÉE


sont à la discrétion de la cohue qui heurte à leurs portes Au district de Saint-Roch[1], après plusieurs refus inutiles, l’assemblée générale, malgré les réclamations de sa conscience et les résistances de sa raison, est obligée de décacheter les lettres adressées à Monsieur, au duc d’Orléans, aux ministres de la guerre, des affaires étrangères et de la marine. — Au comité des subsistances, M. Sureau, indispensable et justifié par une proclamation publique, est dénoncé, menacé, contraint de quitter Paris. — Pour avoir signé[2] l’ordre d’un transport de poudres, M. de la Salle, l’un des plus patriotes entre les nobles, est sur le point d’être massacré ; la multitude, lancée contre lui, attache une corde au prochain réverbère, fouille l’Hôtel de Ville, force toutes les portes, monte dans le beffroi, cherche le traître jusque sous le tapis du bureau, entre les jambes des électeurs, et n’est arrêtée que par l’arrivée de la garde nationale. — Non seulement le peuple condamne, mais il exécute, et, comme toujours, en aveugle. À Saint-Denis, Châtel, lieutenant du maire, chargé de distribuer les farines, avait, à ses frais et de sa poche, diminué le prix du pain ; le 3 août, à deux heures du matin, sa maison est forcée, il se réfugie dans un clocher, on l’y suit, on

  1. Archives de la préfecture de police, procès-verbal de la section de la Butte-des-Moulins, 5 octobre 1789.
  2. Bailly, II, 224. — Dusaulx, 158, 174, 202, 257, 418. La poudre transportée s’appelait poudre de traite. Le peuple entendit poudre de traître. Par cette addition d’un r, M. de la Salle faillit périr ; c’est lui qui, le 13 juillet, avait pris le commandement de la garde nationale.