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LA RÉVOLUTION


étang de cinq pieds de profondeur où plusieurs se noient. Les autres, chargés de butin, s’en vont sous les yeux des soldats qui ne les arrêtent pas. Pendant trois jours, la dévastation continue : nombre de maisons appartenant à des magistrats « sont saccagées du grenier à la cave ». Quand enfin les bourgeois honnêtes ont obtenu des armes et rétabli l’ordre, on se contente de pendre un des voleurs ; bien mieux, pour donner satisfaction au peuple, on change les magistrats, on abaisse le prix du pain et de la viande. — Après ces ménagements et ces récompenses, rien d’étonnant si l’émeute se répand en long et en large aux environs ; en effet, partie de Strasbourg, elle court l’Alsace, et, à la campagne comme à la ville, il se trouve pour la conduire des ivrognes et des vauriens.

Que la scène soit à l’Est, au Nord ou à l’Ouest, les premiers auteurs sont toujours de la même espèce. À Cherbourg le 21 juillet[1], les deux chefs d’émeute sont des « voleurs de grands chemins » qui mènent les femmes du faubourg, des matelots étrangers, la populace du port et nombre de soldats en sarraux d’ouvriers. Ils se font livrer les clefs des magasins de blé, ils dévastent les maisons des trois plus gros négociants et celle du subdélégué, M. de Garantot : « Tous leurs registres et papiers sont brûlés ; chez M. de Garantot seul, on évalue la perte plus de 100 000 écus, au petit pied. » — Partout c’est le même instinct de destruction, une sorte de rage en-

  1. Dumouriez (témoin oculaire), liv. III, ch. iii. Le procès fut instruit et jugé par douze avocats et un assesseur, que le peuple en armes avait nommés lui-même. — Hippeau, IV, 382.