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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


répète au préalable, en soirée, devant les dames. L’ambassadeur américain[1], homme pratique, explique à Washington avec une ironie grave la jolie parade académique et littéraire qui précède le tournoi politique et public. « Les discours sont lus d’avance dans une petite société de jeunes gens et de femmes, au nombre desquelles se trouve ordinairement la belle amie de l’orateur ou la belle dont il désire faire son amie ; et la société accorde très poliment son approbation, à moins que la dame qui donne le ton au petit cercle ne trouve à blâmer quelque chose, ce qui naturellement conduit l’auteur à remanier son œuvre, je ne dis pas l’améliorer. »

Rien d’étonnant si, parmi de pareilles mœurs, les philosophes de profession deviennent des hommes du monde. Jamais et nulle part ils ne l’ont été si habituellement et au même degré. « Pour un homme de science et de génie, dit un voyageur anglais, ici le principal plaisir est de régner dans le cercle brillant des gens à la mode[2]. » Tandis qu’en Angleterre ils s’enterrent morosement dans leurs livres, vivent entre eux et ne figurent dans la société qu’à la condition de « faire une corvée

  1. Correspondance de Gouverneur Morris (en anglais), II, 89. (24 janvier 1790.)
  2. A comparative view, etc. by John Andrews (1785). — Arthur Young, I, 123. « Je plaindrais volontiers l’homme qui croirait être bien reçu dans un cercle brillant de Londres sans compter sur d’autres raisons que sur son titre de membre de la Société royale. Il n’en serait pas de même à Paris pour un membre de l’Académie des sciences ; il est assuré partout d’un excellent accueil. »