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L’ANCIEN RÉGIME


ma doctrine restera confinée dans mon esprit, sans descendre jusque dans mon cœur. — Si je suis catholique (et, sur vingt-six millions de Français, vingt-cinq millions sont dans mon cas), ma condition est pire. Car le pacte social ne tolère pas une religion intolérante ; une secte est l’ennemi public quand elle damne les autres sectes ; « quiconque ose dire hors de l’Église point de salut doit être chassé de l’État ». — Si enfin je suis libre-penseur, positiviste ou sceptique, ma situation n’est guère meilleure. « Il y a une religion civile », un catéchisme, « une profession de foi dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen ou sujet fidèle ». Ces articles sont « l’existence de la divinité puissante, intelligente, bienfaisante, prévoyante et pourvoyante, la vie à venir, le bonheur des justes, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social et des lois[1]. Sans pouvoir obliger personne à les croire, il faut bannir de l’État quiconque ne les croit pas ; il faut le bannir non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d’aimer sincèrement les lois, la justice, et d’immoler au besoin sa vie à son devoir ». — Prenez garde que cette profession de foi n’est point une cérémonie vaine : une inquisition nouvelle en va surveiller

  1. Cf. Mercier, L’an 2240. I. Ch. 17 et 18. Dès 1770, il trace le programme d’une religion et d’un culte semblables à ceux des Théophilanthropes, et son chapitre est intitulé : Pas si éloigné qu’on le pense.