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L’ANCIEN RÉGIME


rables que ceux qui, fournissant à nos premiers besoins, nous donnent du pain pour nous nourrir, un toit pour nous abriter, un vêtement pour nous couvrir, des armes pour nous défendre. — En fait de vie, il n’en est qu’une saine, celle que l’on mène aux champs, sans apprêt, sans éclat, en famille, dans les occupations de la culture, sur les provisions que fournit la terre, parmi des voisins qu’on traite en égaux et des serviteurs qu’on traite en amis. — En fait de classes, il n’y en a qu’une respectable, celle des hommes qui travaillent, surtout celle des hommes qui travaillent de leurs mains, artisans, laboureurs, les seuls qui soient véritablement utiles, les seuls qui, rapprochés par leur condition de l’état naturel gardent, sous une enveloppe rude, la chaleur, la bonté et la droiture des instincts primitifs. — Appelez donc de leur vrai nom cette élégance, ce luxe, cette urbanité, cette délicatesse littéraire, ce dévergondage philosophique que le préjugé admire comme la fleur de la vie humaine ; ils n’en sont que la moisissure. Pareillement estimez à son juste prix l’essaim qui s’en nourrit, je veux dire l’aristocratie désœuvrée, tout le beau monde, les privilégiés qui commandent et représentent, les oisifs de salon qui causent, jouissent et se croient l’élite de l’humanité ; ils n’en sont que les parasites. Parasites et moisissure, l’un attire l’autre, et l’arbre ne se portera bien que lorsque nous l’aurons débarrassé de tous les deux.

Si la civilisation est mauvaise, la société est pire[1]. Car

  1. « La société est naturelle à l’espèce humaine, comme la décrépitude à l’individu. Il faut des arts, des lois, des gouverne-