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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


« sible ». Il y avait en elle une sensibilité latente, incomplète, qui s’achève et devient manifeste. L’organisation est la cause, la vie et la sensation sont les effets ; je n’ai pas besoin d’une monade spirituelle pour expliquer les effets, puisque je tiens la cause. « Voyez cet œuf, c’est avec cela qu’on renverse toutes les écoles de théologie et tous les temples de la terre. Qu’est-ce que cet œuf ? Une masse insensible avant que le germe y soit introduit. Et après que le germe y est introduit, qu’est-ce encore ? Une masse insensible, un fluide inerte. » Ajoutez-y de la chaleur, tenez le tout dans un four, laissez l’opération se faire : vous aurez un poulet, c’est-à-dire « de la sensibilité, de la vie, de la mémoire, de la conscience, des passions, de la pensée ». Ce que vous appelez l’âme, c’est le centre nerveux auquel aboutissent tous les filets sensibles. Les vibrations qu’ils lui transmettent font ses sensations ; une sensation réveillée ou renaissante est un souvenir ; des sensations, des souvenirs et des signes, font toutes nos idées. Ainsi, ce n’est pas une intelligence qui arrange la matière, c’est la matière qui en s’arrangeant produit les intelligences. Mettons donc l’intelligence où elle est, dans le corps organisé ; n’allons pas la détacher de son support, pour la jucher dans le ciel, sur un trône imaginaire. Car cet hôte disproportionné, une fois introduit dans notre esprit, finit par déconcerter le jeu naturel de nos sentiments, et, comme un parasite monstrueux, tire à soi toute notre substance[1]. Le premier intérêt de l’homme sain est de

  1. « Si un misanthrope s’était proposé de faire le malheur du