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L’ANCIEN RÉGIME


« On ne se souvient pas d’en avoir rencontré de pareilles en plein jour… D’où sortent-ils ? Qui les a tirés de leurs réduits ténébreux ?… Étrangers de tous pays, armés de grands bâtons, déguenillés,… les uns presque nus, les autres bizarrement vêtus » de loques disparates, « affreux à voir », voilà les chefs ou comparses d’émeute, à six francs par tête, derrière lesquels le peuple va marcher.

« À Paris, dit Mercier[1], il est mou, pâle, petit, rabougri, maltraité, et semble un corps séparé des autres ordres de l’État. Les riches et les grands qui ont équipage ont le droit barbare de l’écraser ou de le mutiler dans les rues… Aucune commodité pour les gens de pied, point de trottoirs. Cent victimes expirent par an sous les roues des voitures. » — « Un pauvre enfant, dit Arthur Young, a été écrasé sous nos yeux et plusieurs fois j’ai été couvert de la tête aux pieds par l’eau du ruisseau. Si nos jeunes nobles allaient à Londres, dans les rues sans trottoir, du même train que leurs frères de Paris, ils se verraient bientôt et justement rossés de la bonne manière et traînés dans le ruisseau. » — Mercier s’inquiète en face de ce populaire immense. « Il y a peut-être à Paris deux cent mille individus qui n’ont pas en propriété absolue la valeur intrinsèque de cinquante écus ; et la cité subsiste ! » Aussi bien l’ordre n’est maintenu que par la force et la crainte, grâce aux soldats du guet que

  1. Mercier, I. 32, VI, 15, X, 179, XI, 59, XII, 83. — Arthur Young, I, 122.