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LE PEUPLE


abus du système, et, sur chaque plaie sociale, ils pullulent comme une vermine. — Quatre cents lieues de capitaineries gardées et la sécurité du gibier innombrable qui broute les récoltes sous les yeux du propriétaire, provoquent au braconnage des milliers d’hommes d’autant plus dangereux qu’ils bravent des lois terribles et sont armés. Déjà en 1752[1], autour de Paris, on en voit « des rassemblements de cinquante à soixante, tous armés en guerre, se comportant comme à un fourrage bien ordonné, infanterie au centre et cavalerie aux ailes… Ils habitent les forêts, ils y ont fait une enceinte retranchée et gardée, et payent exactement ce qu’ils prennent pour vivre ». En 1777[2], près de Sens en Bourgogne, le procureur général M. Terray, chassant sur sa terre avec deux officiers, rencontre sept braconniers qui tirent sur le gibier à leurs yeux et bientôt tirent sur eux-mêmes : M. Terray est blessé, l’un des officiers à son habit percé. Arrive la maréchaussée, les braconniers font ferme et la repoussent. On fait venir les dragons de Provins, les braconniers en tuent un, abattent trois chevaux, sont sabrés ; quatre d’entre eux restent sur la place et sept sont pris. — On voit par les cahiers des États Généraux que, chaque année, dans chaque grande forêt, tantôt par le fusil d’un braconnier, tantôt et bien plus souvent par le fusil d’un garde, il y a des meurtres d’hommes. — C’est la guerre à demeure et à domicile ; tout vaste domaine

  1. Marquis d’Argenson. 13 mars 1752.
  2. Correspondance, par Métra, V, 179 (22 novembre 1777).