Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
273
LE PEUPLE


qui les nourrit en ce moment même et qui vient de dresser son testament en leur faveur. — Prenez le cerveau encore si brut d’un de nos paysans contemporains, et retranchez-en toutes les idées qui, depuis quatre-vingts ans, y entrent par tant de voies, par l’école primaire instituée dans chaque village, par le retour des conscrits après sept ans de service, par la multiplication prodigieuse des livres, des journaux, des routes, des chemins de fer, des voyages et des communications de toute espèce[1]. Tâchez de vous figurer le paysan d’alors, clos et parqué de père en fils dans son hameau, sans chemins vicinaux, sans nouvelles, sans autre enseignement que le prône du dimanche, tout entier au souci du pain quotidien et de l’impôt, « avec son aspect misérable et desséché[2] », n’osant réparer sa maison, toujours tourmenté, défiant, l’esprit rétréci et, pour ainsi dire, raccorni par la misère. Sa condition est presque celle de son bœuf ou de son âne, et il a les idées de sa condition. Pendant longtemps il est resté engourdi ; il manque même d’instinct[3] ; » machinale-

  1. Théron de Montaugé, 102, 113. Dans le Toulousain, sur cinquante paroisses, dix ont des écoles. — Dans la Gascogne, dit l’Assemblée provinciale d’Auch (24), « la plupart des campagnes sont sans maîtres d’école ni presbytères ». — En 1778, le courrier de Paris n’arrive à Toulouse que trois fois par semaine ; celui de Toulouse pour Alby, Rodez, etc., deux fois par semaine, pour Beaumont, Saint-Girons, etc., une fois. « À la campagne, dit Théron de Montaugé, on vit pour ainsi dire dans la solitude et dans l’exil. » En 1789, le courrier de Paris n’arrive à Besançon que trois fois par semaine (Arthur Young, I, 257).
  2. Mot du marquis de Mirabeau.
  3. Archives nationales, G, 300, lettre d’un directeur des aides à Coulommiers (13 août 1781).