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LE PEUPLE


deux francs et gagne la différence. C’est pourquoi, « si certaines paroisses s’avisent d’être exactes et de payer sans attendre la contrainte, le receveur, qui se voit ôter le plus clair de son bien, se met de mauvaise humeur, et, au département prochain, entre lui, MM. les élus, le subdélégué et autres barbiers de la sorte, on s’arrange de façon que cette exacte paroisse porte double faix, pour lui apprendre à vivre ». — Un peuple de sangsues administratives vit ainsi sur le paysan. « Dernièrement, dit un intendant[1], dans l’élection de Romorantin, il n’y eut rien à recevoir par les collecteurs dans une vente de meubles qui se montait à six cents livres, parce qu’elle fut absorbée en frais. Dans l’élection de Châteaudun, il en fut de même d’une autre vente qui se montait à neuf cents livres, et on n’est pas informé de toutes les affaires de cette nature, quelque criantes qu’elles soient. » — Au reste, le fisc lui-même est impitoyable. Le même intendant écrit, en 1784, année de famine[2] : « On a vu avec effroi, dans les campagnes, le collecteur disputer à des chefs de famille le prix de la vente des meubles qu’ils destinaient à arrêter le cri du besoin de leurs enfants. » — C’est que, si les collecteurs ne saisissaient pas, ils seraient saisis eux-mêmes. Pressés par le receveur, on les voit dans les documents solliciter, poursuivre, persécuter les contribuables. Chaque di-

  1. Archives nationales, H, 1417. (Lettre de M. de Cypierre, intendant d’Orléans, du 17 avril 1765).
  2. Ibid., H, 1418. (Lettre du 28 mai 1784.)