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LE PEUPLE


ignorance, elles dressent d’avance, pour dix et quinze ans, le tableau des futurs collecteurs. Dans les paroisses de second ordre, ce sont tous « de petits propriétaires, et chacun d’eux passe à la collecte à peu près tous les six ans ». Dans beaucoup de villages, ce sont des artisans, des journaliers, des métayers, qui pourtant auraient besoin de tout leur temps pour gagner leur vie. En Auvergne, où les hommes valides s’expatrient l’hiver pour chercher du travail, on prend les femmes[1] : dans l’élection de Saint-Flour, il y a tel village où les quatre collecteurs sont en jupon. — Pour tous les recouvrements qui leur sont commis, ils sont responsables sur leurs biens, sur leurs meubles, sur leurs personnes, et, jusqu’à Turgot, chacun est solidaire des autres ; jugez de leur peine et de leurs risques : en 1785[2], dans une seule élection de Champagne, quatre-vingt-quinze sont mis en prison, et chaque année il y en a deux cent mille en chemin. « Le collecteur, dit l’assemblée provinciale du Berry[3], passe ordinairement pendant deux ans la moitié de sa journée à courir de porte en porte chez les contribuables en retard. » Cet emploi, écrit Turgot[4], cause le désespoir et presque toujours la ruine de ceux qu’on en charge ; on réduit ainsi successivement à la misère toutes les familles aisées d’un village. » En effet, il n’y a point

  1. Procès-verbaux de l’assemblée provinciale d’Auvergne, 266.
  2. Albert Babeau, Histoire de Troyes, I, 72.
  3. Procès-verbaux de l’assemblée provinciale de Berry (1778), t. I, 72, 80.
  4. Tocqueville, 187.